Toujour autour de l'objet théâtral: Le théâtre ivoirien

Le théâtre ivoirien se caractérise par sa grande diversité. Du théâtre "indigène" de l'école de William Ponty, incarné par la génération de Bernard Dadie, Germain Coffi Gadeau, Amon d'Aby, jusqu'à celle, nouvelle, de dramaturges ivoiriens représentée par des auteurs et metteurs en scène comme Thiam Abdul Karim, Hyacinthe Kakou, Coulibaly Chigata, Alexis Don Zigre, Urbain Amoa ou Etienne Irie Bi, le théâtre ivoirien s'est enrichi de tendances et de choix esthétiques divers.

On peut distinguer quatre grands courants :

  • le courant dit "indigène",
  • le courant "populiste" dénommé aussi, de manière moins disqualifiante, "théâtre populaire",
  • le théâtre historique,
  • enfin, le théâtre de recherche. Nul doute que la richesse du théâtre ivoirien est venue de cette dernière tendance.

Tenue par des intellectuels, tels que Bernard Zadi Zaourou, Porquet Niangoran, Souleymane Koly, Mory Traoré ou Marie-Josée Hourantier, elle a ouvert de nouvelles voies, tant du point de vue théorique que scénographique, en proposant des mises en scène audacieuses, parfois déroutantes.

Bernard Zadi Zaourou crée ainsi, au début des années quatre-vingt, l'esthétique du Didiga, emprunté d'un rituel des chasseurs du pays Bété, et qu'il définit comme "l'art de l'impensable" (1).
De 1980 à 1987, Bernard Zadi et sa troupe - KFK (2) à sa naissance, puis devenue, en 1985, Compagnie Didiga - vont créer un répertoire riche d'une dizaine de spectacles, théâtraux ou chorégraphiques, parmi lesquels La Termitière (1981) s'affirme comme le manifeste de cette esthétique dont le caractère novateur a été salué aussi bien par la presse locale - qui lui a cependant reproché son "hermétisme" - que par la presse internationale.

Une dizaine d'années avant lui, Niangoran Porquet et Aboubacar Toure, à la recherche d'une véritable expression dramatique nègre, avaient créé la Griotique. L'intention théorique et le projet de cette esthétique se trouvent entièrement condensés dans la structure lexico-grammaticale de ce néologisme issu du mot "griot". La griotique se voulait un théâtre total, intégrant la parole proférée, la gestuelle, la danse, les chants et la musique.
Marquée par une forte propension à théoriser, créant une multitude de néologismes (griophonie, griotège, griomastique, griothèque, etc.), elle a malheureusement négligé la création proprement dite qui, en réalité, n'est guère allée au-delà des récitals de poèmes, tels que ceux pratiqués par Bachir Toure, sans jamais réussir à créer un véritable spectacle de théâtre. Mais la griotique a fait école, inspirant de jeunes comédiens et metteurs en scène qui s'affirment au cours de cette dernière décennie, comme Ignace Alomo, Alexis Don Zigre ou Fargass Assande.

C'est finalement, à notre avis, Souleymane Koly qui, avec le Koteba inspiré de l'art mandingue de la scène et du spectacle (3), va donner corps et vie au projet de la griotique, en proposant dans les années quatre-vingt, des pièces où il accorde une large place au chant, à la danse, au rythme des percussions qui altèrent l'importance de la parole proférée. On remarquera que le théâtre de Koly évacue le langage littéraire, très élaboré, qu'affectionne le Didiga par exemple. Des pièces comme Adama Champion, Didi par-ci, Didi par-là, et plus récemment, Commandant Jupiter et ses blacks NouchisS font partie du répertoire du Kotéba, dont l'audience internationale est aujourd'hui incontestable. La critique locale s'accorde toutefois à classer Koly à mi-chemin entre la tendance de théâtre dite "populaire", tenue par des troupes comme l'UTCI (Union théâtrale de Côte d'Ivoire) et l'UNTA (Union nationale de théâtre amateur) et la tendance dite "théâtre de recherche" ou "théâtre de laboratoire".

Enfin, le théâtre rituel. Ses tenants et concepteurs sont Were Were Liking et Marie-Josée Hourantier, cette dernière ayant sans doute, de par sa formation universitaire, marqué les orientations théoriques de cette esthétique.
Ici, l'intention esthétique clairement affirmée est de mettre des techniques de rituels africains au service de la formation du comédien et de la mise en scène. Des essais ou pièces comme Les rituels de guérison chez les Bassa du Cameroun, Du rituel à la mise en scène, La femme-mêle, Ce que les mains veulent dire, pour ne citer que ceux-là, nous informent utilement sur les enjeux et l'intérêt de ce théâtre, taxé lui aussi d'hermétique par la critique.
Vers la fin des années quatre-vingt, les deux figures représentatives de ce courant ont rompu toute collaboration artistique. Were Were Liking a abandonné le théâtre rituel pour fonder le Ki Yi M'Bok, Marie-Josée Hourantier est, quant à elle, restée fidèle à cette esthétique qu'elle continue d'explorer avec sa troupe, le Bin Kadi So.
Des oeuvres remarquables ont été créées de part et d'autre: Singué Mura, Un Touareg s'est marié à une pygmée, Quelque chose Afrique (pour le Ki Yi), La Légende du Wagadou, L'Entre-deux rêves de Pitagaba, Masogona Malaide (pour le Bin Kadi So).

Ainsi Niangoran Porquet et Aboubacar Toure, Bernard Zadi, Souleymane Koly, Marie-Josée Hourantier et Were Were Liking, Mory Traore, fondateurs et animateurs respectivement, de la griotique, du Didiga, du Kotéba, du théâtre rituel, du théâtre ouvert (T.O), s'imposent véritablement, au cours des années quatre-vingt, comme les chefs de file d'un renouveau du théâtre ivoirien : un théâtre plus audacieux, aux ambitions intellectuelles et esthétiques plus affirmées, un théâtre engagé dans la recherche scénographique, en rupture avec le classicisme défendu par l'Institut National des Arts (4) , un théâtre offensif qui ambitionne de s'inscrire comme une référence dans l'espace théâtral francophone.

De Tiburce Koffi
Directeur Régional de la Culture Sud
Ministère de la Culture de Côte d'Ivoire

(1) voir article "Qu'est-ce que le Didiga ?" - Annales de l'Université d'Abidjan.
(2) KFK, transfert phonétique de C.A.F.C.A. (Cercle d'animation, de formation et de création artistique)
(3) sa fonction thérapeutique dans le traitement des cas de névrose est aussi connue.
(4) depuis 1991, l'INA est devenu l'INSAAC (Institut national supérieur des arts et de l'action culturelle).

Une selection de Raimond-Alex Loukou
Service communication
Association CRESAS Abidjan

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